dimanche 29 novembre 2009

Langage & Politique



La vérité est toujours belle même si elle est horrible.

Marc-Edouard Nabe

La liberté des uns commence là où commence celle des autres.
Cornélius Castoriadis

« Je suis ! tu es ! nous sommes des ravageurs, des fourbes, des salopes ! » Jamais on dira ces choses-là. Jamais ! Jamais ! Pourtant la vraie Révolution ça serait bien celle des Aveux, la grande purification !
Louis-Ferdinand Céline

Je voudrais avoir un moment le contrôle de tous les postes de radio de la planète pour dire aux hommes : « Attention ! Prenez garde ! la liberté est là, sur le bord de la route, mais vous passez devant elle sans tourner la tête. »
Georges Bernanos



jeudi 26 novembre 2009

Hey Noir Dez... vous reprenez ça ?

Découverte sur Agoravox, une petite deleuzerie.



Lu par Gilles Deleuze
Paroles de Friedrich Nietzsche
Musique de Heldon





Texte - "le voyageur" - issu de Humain, trop humain :

Celui qui veut serait-ce dans une certaine mesure arriver à la liberté de la raison n'a pas le droit de se sentir sur terre autrement que voyageur, - et non pas même pour un périple vers un but final : car il n'y en a point. Mais il se proposera de bien observer et d'avoir les yeux ouverts pour tout ce qui se passe réellement dans le monde ; c'est pourquoi il ne peut attacher trop fortement son cœur à rien de particulier ; il faut qu'il y ait toujours en lui quelque chose du voyageur qui trouve son plaisir au changement et au passage. Sans doute, un pareil homme aura des nuits mauvaises où il sera las, et trouvera fermée la porte de la ville qui devait lui offrir un repos ; peut-être qu'en outre, comme en Orient, le désert s'étendra tantôt loin, tantôt près, qu'un vent violent se lèvera, que des brigands lui raviront ses bêtes de somme. Alors peut-être l'épouvantable nuit descendra pour lui comme un second désert, et son cœur sera-t-il las de voyager. Qu'alors l'aube se lève pour lui, brûlante comme une divinité de colère, que la ville s'ouvre, il y verra peut-être sur les visages des habitants plus encore de désert, de saleté, de fourberie, d'insécurité que devant les portes - et le jour sera presque pire que la nuit. Ainsi peut-il en advenir parfois au voyageur ; mais ensuite viennent en compensation les matins délicieux d'autres régions et d'autres journées, où il voit dès le point du jour, dans le brouillard des monts, les chœurs des Muses s'avancer en dansant à sa rencontre, puis plus tard, alors que, paisible dans l'équilibre de l'âme des matinées, il se promène sous les arbres, tomber à ses pieds, de leurs cimes et de leurs frondaisons, une foison de choses bonnes et claires, les présents de tous les libres esprits qui sont chez eux dans la montagne, la forêt et la solitude, et qui, tout comme lui, à leur manière tantôt joyeuse et tantôt réfléchie, sont voyageurs et philosophes. Nés des mystères du matin, ils songent à ce qui peut donner au jour, entre le dixième et le douzième coup de l'horloge, un visage si pur, si pénétré de lumière, si joyeux de clarté, - ils cherchent la philosophie d'avant-midi.

mardi 24 novembre 2009

Passez, muscade ! Antimodernisme et antisémitisme chez Céline

J’écris souvent que la question de l’époque est celle du langage. Un jour, j’essaierai de relier tout ce qu’il y a à relier sur ce sujet. Pas aujourd’hui. Nous sommes soi-disant dans une société de liberté et de débat dans laquelle les opinions contraires peuvent s’affronter démocratiquement. Arnaque ! tromperie ! duperie ! Ce n’est pas qu’il faille comparer notre société à d’autres dans le monde ou dans le temps et dire : « nous sommes pires ! ». C’est simplement reconnaître qu’il y a aujourd’hui des souffrances ; et, que les souffrants sont privés de parole pour les exprimer.

Ils en sont privés par absence de mots, de vocabulaire, de littérature aux sens strict et large en même temps. Il y a un marché florissant de la culture… mais quels mots trouve-t-on chez ces marchands ? 100 000 Musso vendus ne feront jamais 1 Antonin Artaud.

samedi 21 novembre 2009

Mbaw et Maalouf fêtent les 10 ans de ASD

L'ONG Actions Solidaires de Développement fête ses 10 ans. Pour l'occasion, elle organisait un concert à Lyon, au Rail Théâtre, avec une affiche aussi grande que la salle petite. Chérif Mbaw, en première partie ; Ibrahim Maalouf, ensuite. Je déroge donc une nouvelle fois à ma règle de ne pas parler d'un concert, parce que certaines choses valent la peine d'être dites.

mardi 20 octobre 2009

XXI

Mulatu Astatké Miles Davis Oum Kalsoum Charlie Parker Ibrahim Ferrer Antonio Carlos Jobim Ahmad Jamal Toumani Diabaté Yusef Lateef Billie Holiday Albert Ayler Ravi Shankar Archie Shepp Thelonious Monk Django Reinhardt JB Lenoir Sidney Bechet Nusrat Fateh Ali Khan Diego El Cigala Lester Young Ali Farka Touré

mardi 13 octobre 2009

En attendant Nabot

J'espère qu'il n'est pas le nouveau Godot, mais tout indique le contraire. Marc-Edouard Nabe entend apparemment mettre fin à ses démêlés avec le monde des lettrés qui ne lui ont rien épargné en 25 ans. Sans éditeur, il a enfin récupéré les droits de ses anciens livres et va désormais s'éditer lui-même. L'Art s'émancipe du monde de la culture. Quelle meilleure nouvelle ? Pour ma part, je pourrai donc enfin lire la grosse moitié de son œuvre aujourd'hui introuvable. Avant de suivre la suite des aventures. Extrait de son interview dans la revue Médias (N°22, Automne 2009) :

Mais si, aujourd’hui, vous annonciez que vous cherchez une maison d’édition…

Je ne cherche pas d’éditeur. Qu’ils aillent se faire foutre. J’ai passé un cap. C’est moi qui ne veux plus d’éditeur. Je ne veux plus être dans ce système. Je suis une sorte de pionnier, petit et modeste, qui veut concevoir une nouvelle façon pour un écrivain de s’exprimer dans sa société.

[...]


Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Il faut sortir de la structure, du système. Le véritable ennemi de l’écrivain, ce n’est pas la société, mais le milieu littéraire lui-même. Et c’est pareil pour les autres arts. C’est le milieu de la peinture du XIXe siècle qui a entraîné Van Gogh à se couper l’oreille. C’est le milieu du jazz américain qui a fait crever de faim Bud Powell ou Thelonious Monk. Actuellement, le milieu littéraire est notre ennemi à nous, écrivains. L’éditeur, le diffuseur et le libraire sont trois parasites du livre.


Et comment fait-on pour se passer de ces trois-là ?

Je viens de gagner mon procès contre Le Rocher et j’ai récupéré tous les droits de mes livres, je peux en faire ce que je veux. Pas question de les remettre dans le circuit. Si ça amuse d’autres écrivains de continuer d’accepter de ne toucher que 10 % de leur travail, ça les regarde. Moi je suis davantage pressé de vivre de ce que je crée, le milieu éditorial m’excusera. Alors, j’ai décidé de m’éditer moi-même. En cliquant sur marcedouardnabe.com, vous pouvez dès à présent acheter mes livres anciens et surtout celui, inédit, que je sors ces jours-ci.


Voilà. Tout était prévu pour le 15 septembre, il y a manifestement du retard. Mais on peut attendre. Bientôt le Vingt-huitième livre de MEN ! Pour patienter, on peut toujours regarder les quelques émissions qu'il a faites, notamment chez son ami Taddeï, quasiment le dernier à l'inviter. Il y a une émission sur l'Afrique que je trouve particulièrement savoureuse. C'était il y a quasiment deux ans, après l'affaire de l'Arche de Zoé et l'annulation du Paris-Dakar. Jacky Mamou puis Bruno Saby sont un peu seuls sur ce plateau, mais la charge de tous les autres contre l'impérialisme occidental est vraiment magnifique.

Nimrod et Nabe, sur Genet, la mascarade, les dominants / dominés :


Bricmont contre l'idéologie de l'ingérence :


Brauman sur le mot génocide :


Contre le Dakar :

jeudi 17 septembre 2009

Les mots qui ne passent pas

Il faut que je fasse cet effort, je crois, de préciser mon propos. Loin de moi l'idée d'insulter qui que ce soit, je suis trop gandhiste pour cela - oui Gandhi, celui qui écrivit une lettre à Hitler en l'appelant "Cher ami". Que les amateurs de rock ne se sentent donc pas menacés par mes articles. C'est Dostoïevski qui a tout compris en disant : "Plus j'aime l'humanité en général, moins j'aime les gens en particulier, comme individus". Et inversement (dans mon cas). Ma misanthropie est telle que je pardonne tout à tout le monde. Aucune animosité, donc. C'est qu'il y a des mots qui sont un peu trop compris comme synonymes aujourd'hui : critique, provocation, opinion, insulte, etc.

Au Moyen-Age, il y avait ce qu'on appelait des Controverses. Des types défendaient des points de vue opposés sur des questions qui les passionnaient et la violence des "disputations" n'avait d'égale que leur sérénité. Mais c'était le temps des ténèbres (sic). Aujourd'hui, on est dans la célébration et la promotion obligatoire. Par exemple, quelqu'un qui n'est pas sarkozyste est anti-sarkozyste, et c'est mal d'être anti. Quand on parle d'un sujet, il ne faut en dire que du bien ; sinon on démontre son intolérance (sic). Il y a deux gugusses que j'admire assez pour ça : Zemmour et Naulleau qui arrivent (ce sont les seuls !) à dire du mal non pas de leur interlocuteur, mais de leur œuvre. C'est-à-dire à critiquer et dire ce qu'ils pensent. La pertinence de leur propos, c'est autre chose. Mais les rares fois où l'interlocuteur ne refuse pas le débat en prétextant que c'est provocateur ou insultant, la discussion est intéressante.

Je reviens à mes moutons. Je critique le rock. Mais c'est aussi une musique que j'aime. Je n'enverrai jamais aux orties Noir Désir, PJ Harvey, The Brian Jonestown Massacre, The Dandy Warhols, Led Zep, etc. Et même, il y a des morceaux de Coldplay que j'aime. Simplement, quand je pense, je pense aussi (et surtout) contre moi-même. On imagine facilement quelqu'un qui adore le chocolat penser qu'il ne faut pas en manger.

Alors je ne prends pas de pincettes. C'est bien beau d'aimer quelque chose, mais parfois ce quelque chose est recouvert ou caché par de multiples écrans de fumée et il faut dézinguer le reste pour y accéder. C'est mon parcours. J'ai du faire un travail critique et mon auto-critique pour accéder à la littérature (une certaine littérature), pour accéder aux chants soufis, pour accéder au jazz. J'ai du détruire des idoles. Je devrai encore le faire. Voilà ce qu'il faut comprendre, pas que je profère des insultes. Il ne suffit pas de clamer son amour, il faut aussi aller comprendre pourquoi c'est considéré, comme dit Nabe, comme des "déchets nucléaires".

On peut me reprocher du mépris et de la condescendance. Évidemment. Je peux me le permettre. Parce que je suis à terre, sous terre, avec tous les vaincus de ce monde. La condescendance de ceux qui ont tout perdu, ont tout faux, n'ont aucune chance de gagner, et surtout aucune volonté pour cela. Mes seules victoires sont celles remportées sur moi-même. Avec les autres, je ne suis pas en compétition. Cette condescendance est une ironie adressée à moi-même. Je prends de haut ce qui m'écrase. En avant... ahah


En avant. […] Puissé-je ne rien garder à mes semelles de tout ce que je quitte, et ne rien emporter que mes belles douleurs, mes belles conquêtes, toutes mes victoires sur moi-même en tant de combats où j’ai été vaincu selon le monde, défait par la laideur et révolté par le bruit. […] En avant !
André Suarès


Le pauvre Marchenoir était de ces hommes dont toute la politique est d'offrir leur vie, et que leur fringale d'Absolu, dans une société sans héroïsme, condamne, d'avance, à être perpétuellement vaincus.
Léon Bloy

mardi 15 septembre 2009

Jazz à la Villette - Connivences antillaises

Quelques mots, aussi, sur la performance de l'après-midi, Cité de la musique, qui s'avéra une vraie surprise pour moi. Alain Jean-Marie et Daniel Maximin m'étaient inconnus. Leurs Connivences antillaises ne me disaient rien. Et, après quelques minutes, c'est l'inquiétude et le questionnement : parviendra-t-on à entrer dans le jeu ? Maximin récite, ou lit, des textes qu'il a lui-même écrits, ou ceux d'Aimé Césaire, mon inculture ne me permet pas de savoir. S'intercalent, entre deux lectures, des morceaux de piano de Jean-Marie. Difficile d'accès, donc... mais petit à petit, le charme opère. Ou la réceptivité est plus grande. Toujours est-il que c'est de plus en plus connivent, entre eux, et avec le public. Les textes sont beaux, écrits, profonds, remarquablement lus/récités/interprétés. Le piano rend hommage à toutes les gloires du jazz, c'est multi- et même archi-référencé (la moitié doit m'échapper). Le tout ne manque pas d'humour, et de classe. Et voilà comment passer un grand moment imprévu.

lundi 14 septembre 2009

"Il manque Ahmad Jamal, mais on a essayé de continuer la lutte"

C'est difficile de parler d'un concert, sans véritablement avoir d'intérêt, et plus encore quand on a l'impression qu'il n'y a pas de mots, et quand bien même, on n'aurait pas l'écriture pour les exprimer. Je m'y sacrifie malgré tout ; parce que les mots musicaux de cette soirée ne doivent pas tomber dans l'oreille de sourds, uniquement. Voici donc le compte-rendu du concert de clôture du Festival Jazz à la Villette.


Dimanche 13, 13h13. ça s’inventerait, mais ce n’est pas le cas. La nouvelle tombe – aïe ! j’ai mal. En raison de difficultés logistiques, Ahmad Jamal n’a pas pu quitter Bogota à temps – à temps pour rejoindre Paris où il devait jouer pour un concert historique. Le mot n’est pas galvaudé, car le dieu vivant du piano joue essentiellement en trio, depuis cinquante ans. Ce soir, il se présentait dans une configuration inédite, avec deux souffleurs ; et, quels souffleurs ! Yusef Lateef. Archie Shepp. Excusez du peu. Deux dieux vivants du saxo. Jamal ils n’avaient joué avec jamais. C’était ici… maintenant… l’occasion unique… c’était ce soir (ou jamais), ce fut ce soir où Jamal ?

Il faut encaisser la déception ; mais, il est facile d’admettre que le plateau demeure exceptionnel. L’ahuri qui se serait plaint il y a deux siècles de ne voir que Mozart et Haydn ensemble, sous prétexte que Beethoven était aussi annoncé pour compléter la trinité, aurait bien porté son qualificatif substantivé.

Il est 21h quand les artistes entrent en scène. Yusef en avant-dernier : avec ses 89 ans, il se dépêche de mettre du temps à s’asseoir. Archie, enfin. Avec son chapeau, la classe à l’état pur. Il prend la parole. « Malheureusement, Ahmad Jamal n’est pas là […] mais on continue la lutte… avec le légendaire… Yusef Lateef ! »

Parce que c’est bien d’une lutte qu’il s’agit. Plus tard, Archie parlera de sa grand-mère, de l’esclavage – ils n’avaient pas d’instruments, alors ils tapaient sur leur corps pour jouer de la musique. Démonstration de son batteur à l’appui, c’est édifiant. C’est Hambone. C’est la révolution. Oui, this is [their] music comme l’affirmait Ornette, lui aussi au programme du festival, quelques jours plus tôt, d’ailleurs. Shepp se met alors à chanter, qu’il sent la souffrance dans les yeux de Grand-Mère ; et, les plus analphabètes des sentiments eux-mêmes ressentiraient l’âme de cette musique qu’est le jazz : le jazz n’est pas noir, il est nègre. Avoir la peau blanche ou noire, ce n’est qu’une donnée de la biologie, anecdotique si l’on en croit la génétique des populations. Mais être nègre, c’est un attribut social, on l’est parce que le colon existe. Le jazz prend le parfait contrepied du colonialisme, comme les acteurs de la pièce de Jean Genet, d’ailleurs (Les nègres). Les vaincus se jouent des vainqueurs à leur propre jeu, se marrent de leurs mascarades.

Or, si l’esclavage est aboli ; et, si les colonies sont démantelées (du moins pour les physiciens de la géopolitique tenant la Cisjordanie pour quantité négligeable), la lutte continue. La servitude ne prend plus sa source dans les monts de la politique, mais dans ceux de l’économie et de la culture. L’un et l’autre se renforcent mutuellement. On exploite, on lamine ; mais, on verse des larmes de crocodile supposées remplir des puits – en forme de tonneau des Danaïdes – en Afrique. Et en effet, les larmes tombent dans le puits. Le crocodile aussi. C’est un grand bouffeur de nègres, hop !... hop !... hop !... il prend ça pour d’étranges fruits.

L’histoire est trop connue – comment le rock a vampirisé le jazz et le blues. Précisément, le vampire se vampirise en vampirisant. Le rock a tout piqué – tout sauf l’âme. La culture pop est une culture d’athées. Athées, je veux dire capitalistes. Cette équivalence aussi est trop facile à démontrer. Et c’est dans ce monde de morts-vivants que Michael Jackson peut se promener dans le cimetière et s’assurer le statut de génie de la musique du XXe siècle, au même titre que les Beatles et Elvis. On peut affirmer cela, aujourd’hui, sans risque courir d’être écartelé en place publique pour blasphème. C’est même le contraire : celui qui le contestera sera jugé comme un vil provocateur à conspuer. Mais laissons le rock qui, né d’une dégradation, la poursuit sans cesse : de Led Zep’ à Coldplay, il y a une certaine* perte de qualité certaine* (* rayez la mention inutile).




Le sujet, c’est un autre genre d’athées, pas les progressistes technicistes scientistes ; non, les artistes amoraux et spirituels de la révolution permanente et du renversement des valeurs. Post-scriptum intégré : Dieu n’a rien à voir dans ces définitions des athéismes, et si cela vous étonne, pensez que l’autre l’a hurlé : Dieu est mort.

En l’espèce, la lutte dura pas moins de 2h30. Au pied levé, Wayne Dockery (contrebasse), Steve McCraven (batterie), Leon Parker (percussions) et Tom McLung (piano), ont remplacé Ahmad Jamal et ses acolytes. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont été à la hauteur de l’événement, et ce n’était pas tâche facile. Comment ne pas regretter, toutefois… laissons les regrets. Quatre morceaux sont joués, quatre morceaux qui se méritent parce qu’ils sont longs, complexes, difficiles à mettre en place, épuisants aussi, jubilatoires finalement. Le fond mérite l’effort que la forme impose : tout est . Ça polyphone à tout va, Shepp et Lateef jouent parfois au ping-pong avec des raquettes en forme de saxophones : ce sont les meilleurs moments. Lateef semble tour à tour grand-père des montagnes marocaines, fakir indien, ou pygmée jouant de la flûte dans la forêt (spéciale dédicace à Dieudonné : part 1 et part 2), et finalement grand nègre dieu du saxo. Il délaisse pourtant régulièrement son saxo, comme lors du coup d’envoi du concert qu’il donne à la flûte, pour une multitude d’instruments à vents. Ce ne sont que bouts de bois, bambous, cuivres, peaux de serpents, cannes à sucre, quelle importance ? La profusion de sons différents nous transporte : c’est un oriental avant tout.

Quant à Shepp, il veut laisser la vedette, mais il n’est pas en reste. Même quand il ne joue pas, il assure. Par exemple quand il se trouve bien malin à devoir ouvrir une fermeture-éclair pour récupérer sa clarinette. Chez Simenon, la fermeture-éclair suffit à confondre un meurtrier. Mais porter atteinte au solo de Lateef, c’est une autre histoire… quoiqu’il en soit Archie se fait discret. Shepp chante peu, mais lorsqu’il s’y colle, les oreilles de beaucoup de chanteurs sifflent tant il les surpasse. Il est impressionnant et quasi-monstrueux. C’est l’apothéose de fin de concert. Lateef se lève, mais au lieu de saluer, il prend le micro et se met à son tour à chanter ! Qu’il veut rejoindre l’autre côté de la rivière, même si celle-ci est profonde, sauvage, etc. Quel moment ! Quelle voix, encore ! Shepp reprend la parole : « Il manque Ahmad Jamal, mais on a essayé de continuer la lutte… » Mission accomplie. Les mots de pianiste, les mots de saxophonistes, les mots de bassiste, les mots de percussionnistes auront été entendus ce soir.

Ils s’en vont, et reviennent pour le rappel de derrière les fagots : aux petits oignons ils nous cuisinent, aux anges nous sommes, tout le rappel durant une standing ovation ils reçoivent. L’impression commence à se dégager que rien ne pourra les arrêter. Et pourtant si, ils s’arrêtent. Mais l’ovation, elle, ne s’estompe pas. On en serait presque honteux de demander un nouvel effort à ces vieux artistes ; mais ils en sont touchés, je crois. Ils reviennent donc pour un second rappel, plus calme et émouvant après le très festif premier. Cette fois, c’est terminé. La scène s’éteint, la salle s’allume, le public enchanté s’en va. Sauf que, deux minutes plus tard, Lateef revient, dans le noir, seul, pour aller chercher ses instruments – comme s’il n’avait pas pu envoyer quelqu’un… Et ce qui devait arriver arriva : il s’assied, souffle dans sa flûte, provoquant l’hilarité et les applaudissements de ceux qui restent… alors il se lance dans un long solo à la flûte, magistral. Puis, un petit coup de hautbois. Mais non, quand même pas : il se contentera de passer de longues minutes à dédicacer des albums, serrer des mains et saluer. Comment avait dit Archie, déjà ? Légendaire ?

jeudi 30 juillet 2009

Pas d'Equerre II

Eh bien oui, Pas d'Equerre a survécu à une première glaciation et entame donc sa période II. J'aimerais toujours mener à bien le petit Horresco Referens, mais c'est reporté sine die.


Beaucoup de choses en suspense... Il faudra bien un jour parler de livres qui resteront très importants dont je vais faire l'énumération des auteurs pour me souvenir qu'il me faut y revenir : Léon Bloy (pour Le Désespéré ; et Exégèse des lieux communs), Georges Bernanos (Monsieur Ouine), Antonin Artaud (Héliogabale ou l'anarchiste couronné), Jean Genet (Le Bagne, Les Nègres), le comte de Lautréamont (Les chants de Maldoror), Luigi Pirandello (Un, personne et cent mille), André Suarès (Voyage du Condottière), tous récemment lus ; mais aussi les livres de Marc-Edouard Nabe ; et je ne crois pas avoir mentionné Louis-Ferdinand Céline, pourtant lu il y a plus longtemps, non plus... A chaque fois transpercé par l'Oeuvre.


Et que dire des mystiques persans ? Hussein Mansour al-Hallâdj (son Diwân est fabuleux) ; ou Djalâl od-Din Rûmî dont je vais attaquer le deuxième tiers du considérable Mathnawi (La Quête de l'Absolu). Qu'en dire ? Réponse à la fin de l'été, sans doute...

mercredi 29 juillet 2009

Exode blogal

Juin 1940... Les Vié fuient. Emportant le strict nécessaire - le sel, le poivre, le thym, le laurier etc. - ils envisagent déjà de fonder une boucherie. Quoi ? s'exclama Gérard Vié avec une vivacité surprenante pour un homme de sa corpulence, des bouchers ? les Vié ? Il n'y faut point compter !


Allez, laissons Desproges...


J'avais enfin intégré un lecteur Deezer sur mon blog. 2 jours après, patatra ! Deezer désintègre cet intégrateur. Que faire ? A part lire Lénine et Tchernychevsky pour consulter leurs réponses, je ne voyais pas. Exit Deezer, donc, bonjour Jiwa. Mais chez Jiwa, rien n'est prévu pour mon ancien hébergeur. Quelle misère ! Donc me voici en ces lieux. Avec le temps (va, tout s'en va), je rapatrierai tous les messages, indispensables bien entendu, de l'ancien blog.


Et donc... que voilà-t-y pas juste à gauche ? Non pas un, mais deux lecteurs Jiwa. Ahah ! Vous lancez celui que vous voulez. Un pour le Jazz. Un pour une touche orientale. Au choix. Etonnant, non ?

lundi 11 mai 2009

Pour un génie kamikaze - Richard Gasquet


David Nalbandian s’en souvient-il ? Moi-même j’ai la mémoire qui déraille, mais il a été tiré par les cheveux qu’on devait le mettre au singulier, ce rail. Etait-ce en 2004 à Roland Garros ? ou en 2006 ? Etait-ce bien, au moins, contre David Nalbandian ? Je ne suis sûr de rien, parce que ce n’est qu’anecdote. L’essentiel : ce qui s’est passé ce jour-là. Tu avais perdu, Richie, quelle importance ? Une seconde avait suffit à révéler ta vraie nature… non pas un point… un coup, un seul et chacun pouvait voir très clair dans ton jeu. L’échange est mal embarqué, les amarres sont larguées, tu prends le large irrésistiblement et gagnes les bâches pendant que ton adversaire distribue les pieds dans le terrain, c’est d’ailleurs ce que tes meilleurs fans te reprochent inlassablement, d’être si loin de ta ligne de fond. On t’a perdu, on ne te voit plus, mais tu renvoies encore la balle, jusqu’à ce que David prenne le dessus, définitivement. C’est du moins ce qu’il semblait, ayant vu sortir le balle très loin côté revers alors que nous sommes toujours sans signe de vie de toi, Richie. Au mieux, tu sauras faire un pitoyable lob dont se régale déjà ton adversaire, à moins que tu ne te laisses tenter par un passing désespéré en forme de menace de mort pour l’arbitre de chaise, ou tout simplement es-tu déjà allé te placer pour le point suivant. Pas du tout ! Tu es sur la balle, tu la joues… et comment ! En effet, la balle revient, flottante – qu’est-ce que ? Elle retombe à moins d’un mètre du filet, et un effet rétro slicé la propulse dans le couloir après rebond : injouable. C’est le premier passing amorti de l’histoire du jeu. Le dernier aussi. Le seul. David n’en revient pas de ce coup de géant.

Evidemment, il est facile de « voir » le génie à l’œuvre. Ce n’est en comprendre que la moitié, donc rien. Ce que tu as fait là est parfaitement absurde. C’est même d’une stupidité ahurissante. Quitte à remettre la balle en jeu, la probabilité que l’adversaire rate une volée ou un smash facile est sans commune mesure avec celle de réussir un tel coup inédit et impossible. Ce que tu as tenté, c’était le pire choix possible. Là est le génie. Il ne suffit pas d’avoir un talent fou, il faut encore l’utiliser de manière complètement absurde. Voire kamikaze. Tous les génies sont kamikazes, ils sont kamikazes parce qu’ils sont géniaux, ils ne peuvent y échapper. L’autodestruction est le pendant de la création. Le sacrifice rend l’œuvre acceptable. L’échec est indispensable au génie, ce qui est appelé réussite étant toujours l’efficace, le rationnel, le raisonnable, le normal, le comptable, tout ce que le génie ne peut pas supporter.

C’est pour ce geste – je le sentais en toi depuis le premier match sur le circuit à Monte Carlo – que je t’admire toi, le génie kamikaze qui n’a rien des gladiateurs qui peuplent ce milieu du sport de haut-niveau, fer de lance de nos sociétés modernes industrialisées pitoyables. Aujourd’hui, ta Chute t’offre le 20h. Extraordinaire !

On a vendu Coluche comme une lessive, on t’a vendu comme un messie. Ils n’ont pas compris que la bonne nouvelle que tu apportais était celle de leur mort. Alors, évidemment, tu les as déçus, les bougres et ils ont fait de toi leur tête-de-turc. Tout est allé de travers. Ah ! bien sûr, tu étais le « jeune prodige », le « petit Mozart », et l’inconscience t’a permis de produire, si j’ose dire, le tennis-champagne pour battre Federer. Mais les blessures… mais les défaites… mais la réalité du sport de haut-niveau. Bon, OK, tu peux battre deux ou trois frenchies et sortir un bon match contre Roddick à Wimbledon (un bon match ? ahurissant, oui !), mais rien n’y fera, tu seras toujours décevant. Le plus ahurissant, c’est que ce sont tes fans que tu déçois le plus. Moi-même, j’ai été souvent déçu par toi. Quelle leçon tu me donnes ! Merci !

Je plaide coupable, mais sans doute me reconnaitras-tu des circonstances atténuantes. Ah ! Le plus beau revers qui soit, c’est bien le tiens. M’enfin ! C’est toi qui « joues comme un super héros » ! Et dire que pour chanter ainsi ta gloire, il a fallu qu’il te batte le Nando… Et ce match héroïque contre Hewitt ? Quelle belle défaite, encore ! Et contre Murray, quelle démonstration pendant trois sets (moins un jeu) ! Personne ne sait perdre comme toi. C’est un compliment venant de moi, je dois le préciser. Je ne parle que de défaites parce qu’il serait un peu facile d’avancer les victoires pour te prouver que tu m’as fait rêver. Non ! Même (surtout ?) tes défaites sont glorieuses.

Certes, des défaites piteuses il y en eut, mais tu arrivais toujours à te retourner. La mousse sur le terrain, les ramasseurs de balle, les deux gugusses qui tapent contre la vitre d’un court couvert anglais et néanmoins improbable, pourquoi pas le nombre de hérissons morts croisés sur la route ou la politique étrangère de la Moldavie… tout était bon pour servir de faux-fuyant. Comme tu as raison de fuir ! Il faut être humain, trop humain pour se vautrer dans ce monde compétitif jusqu’à plus-soif. Tu es surhumain, toi. Ta place n’est pas dans l’arène, mais dans la Montagne.

Et pourtant, tu as tant essayé d’y entrer dans l’arène ! Tu as par exemple deblickerisé ton jeu. Chez tes fans, c’est la division entre ceux qui saluent cette recherche de stabilité et ceux qui regrettent le jeu moins stéréotypé d’antan. Mon avis : tu as ce qu’il fallait faire pour réussir dans ce milieu, mais tu es trop fort pour réussir. Aller contre-nature, ça se paye. Je crains que tu ne l’aies payé physiquement et moralement. Tu n’as plus exprimé que ton besoin de prendre des distances après le Masters 2007. Que c’était triste ! Tu manquais d’air, au contraire des commentateurs qui ne manquaient pas non plus d’occasions pour t’enfoncer. Quelques SMS et ton compte fut bon. Tu n’allais pas te laisser abattre pour si peu. Après la crise, une nouvelle bonne décision : changer d’entraîneur et choisir Guillaume Peyre (quel hasard ‽). La fin de saison ne fut peut-être pas à la hauteur des attentes, mais tu étais reparti du bon pied. Nous attendions tous 2009 avec impatience. En 2009, le niveau de jeu était là, mais le corps a parlé. Le corps est souvent obligé de hurler ce que l’esprit veut censurer. La maladie est à prendre comme une bénédiction.

Et voilà l’invraisemblable dépêche ce samedi 9 mai. Gasquet positif à la cocaïne. Non ! Stupéfiant. Cette fois-ci, tu as tout le monde contre toi. On a même trouvé un sacré Monsieur Propre en la personne d’Henri Leconte. Les chantres des « valeurs du sport » (sic), les moralisateurs du dimanche – en fait ce sont les mêmes et je peux arrêter l’énumération, ils constituent l’écrasante majorité de la population. Le lynchage médiatique que tu as connu jusque-là fera désormais figure de mauvaise blague, tu changes de catégorie. Et moi, je persiste dans mon admiration, plus que jamais.

Car, il faut le dire, les circonstances de cette Chute sont gasquetiennes à fond. Tu es blessé, tu déclares forfait, tu sors en compagnie de je ne sais quel frenchanteur à la mode, et le lendemain tu es contrôlé… positif. Evidemment, à l’ATP, on va considérer ce contrôle comme « en compétition » puisque le tournoi avait débuté. Ce n’était que toi qui étais hors jeu, et pour un mois. La cocaïne n’avait aucune chance d’améliorer quelque performance que ce soit. Reste la question : la prise est-elle volontaire ou non ? Involontaire, outre que cela réduirait ta suspension si tu pouvais apporter des éléments l’indiquant, l’affaire serait encore plus extraordinaire. On ne serait même plus dans la classique autodestruction. Ce serait un cas de non-assistance à autodestruction en danger. Encore de l’inédit. Quel autre signe faudrait-il pour montrer que non, tu ne seras jamais le winner tant rêvé ? Il y aura toujours des obstacles. Le public ne te comprendra jamais. Ah ! je t’imagine abattu comme jamais. Et pourtant quelle preuve de ta grandeur ! S’il faut de tels obstacles pour t’abattre, c’est bien que tu n’es pas le premier venu. Le bâton est monstrueux parce que la roue est géante.

Je ne sais pas comment tu vas relever le défi auquel tu dois te mesurer désormais. Je sais que tu le relèveras. Prends cette lettre ouverte comme un immense MERCI pour l’ensemble de ton œuvre tennistique et humaine, et un non moins immense BON COURAGE pour la suite, évidemment. Sinon, à quoi servirait qu’un ahuri ait bâti une philosophie sur l’idée suivante : tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ?

mardi 7 avril 2009

La journée de la jupe




Ceci n'est pas une pute


Quelques mots sur ce film qui fait presque plus débat pour sa programmation sur Arte avant sa sortie en salles que pour son sujet. A la rigueur, on parlera du retour d'Isabelle Adjani, en s'offusquant bien entendu de la trouver bouffie ou je ne sais quoi. Tout sera bon pour ne pas évoquer le fond. C'est un film très dur, non pas pour ce qu'il raconte - une prise d'otages qui tourne évidemment mal - mais pour son message. On navigue dans les eaux d'Entre les murs, film plébiscité par les uns, les autres, et les troisièmes pour des raisons qui m'apparaissent clairement obscures (oui, je m'autorise cette revanche sur Corneille, je me comprends). A mes yeux, Entre les murs montrait le summum de la compromission, de la démission et devait à ce titre percuter. Au lieu de cela, et jusqu'au réalisateur lui-même, il a été salué parce qu'on eut aimé que nos enfants fussent dans cette classe (Y a-t-il un professeur de français sur ce blog ?). Résumons-nous : salué au nom de la démission et de la compromission, car même si elle n'est souvent pas vue en tant que telle, c'est bien à cela que nous assistons. Au mieux elle est revendiquée, au pire elle n'est même pas perçue. Nous allons droit dans le mur.


La confirmation nous vient de La journée de la jupe. Cette fois-ci, l'enseignant, qui est une enseignante, est l'anti-Bégaudeau. Elle passe pour raciste, psychorigide, et peut-être égorgeuse d'enfants lors de son temps de loisir, mais il n'y a pas de preuve. Elle n'est prête à aucune compromission, et est la dernière à résister. Cela n'en rend pas son cours plus bénéfique : elle ne peut de toute façon pas travailler, pas plus que notre ami Bégaudeau. Au moins ne passe-t-elle pas par pertes et profits certains détails intra muros (l'identité de ceux qui arrêtent Anne Frank, l'inutilité de l'Autriche, ...). Mais elle peut bien s'époumonner, ce qui en sort ne tombe que dans l'oreille de sourds.


Arrive donc le moment où elle découvre une arme à feu dans le sac d'un élève, c'est la panique, elle s'en empare, et prend une partie de sa classe en otage. Elle va enfin pouvoir faire un cours de français, et régler leur compte aux mentalités racistes et misogynes qui sévissent dans sa classe. Et donner comme revendication l'instauration d'une journée de la jupe pour que les femmes portant des jupes ne soient plus considérées comme des putes.


Que penser de ce film ? Qu'il faut se saisir de la question au plus vite, car le bord du gouffre, nous y sommes. La France n'existe plus comme pays, l'Ecole, la République, la démocratie, tout part à vau-l'eau. Le constat ne date pas d'hier, mais seuls des fossiles y apportent leurs réponses, qu'ils soient soixante-huitards ou anti-soixante-huitards. La nuit risque d'être longue et froide. Mais enfin l'oiseau de Minerve, tout ça...

vendredi 3 avril 2009

Durch Leiden Freude

Il est beaucoup question de jazz et de Marc-Edouard Nabe sur ce blog, ces derniers temps. C'est lui, et Siné, d'ailleurs, qui m'a donné l'envie d'écouter du jazz, par ses textes éblouissants - ceux que j'ai pu lire car c'est la croix et la bannière pour se les procurer - comme La Marseillaise (à propos d'Albert Ayler) et Nuages (sur Django Reinhardt). En fin de compte, ce sont Philippe Val, Claude Askolovitch et Patrick Gaubert que je dois remercier puisqu'en jetant leur dévolu sur Siné l'été dernier, ils ont remué un couteau dans une plaie qui est celle du cirque médiatico-politique. De là j'ai pris Siné plus au sérieux, peut-être, et me suis réellement plongé dans la pensée nabienne. Et c'est ainsi... J'étais moi-même dans une évolution qui me portait tout naturellement à me jeter dans la gueule du loup nabien, mais peut-être serais-je passé à côté sans ce grotesque épisode. J'avoue que cela me fait froid dans le dos. Je n'en pouvais plus du pop-rock que j'écoutais depuis des années, j'ai cherché, avant, ailleurs, j'ai trouvé (le métissage qawwali - flamenco par exemple, extraordinaire). Il manquait quelque chose. Je suis tombé dans le jazz. Ecouter du jazz me fait comprendre Nabe ; lire Nabe me fait comprendre le jazz ; lire Nabe en écoutant du jazz me permet de me comprendre moi-même. Beethoven, par exemple. Toujours été fasciné par l'homme, meurtri par sa musique. Le romantisme d'une manière générale. Celui du XIXe siècle évidemment, pas les niaiseries avec les acteurs à la mode. Je suis complètement débordé par l'invraisemblable violence du monde qui m'est insupportable ; celle dont se plaignent Goethe, Tourgueniev, Dostoïevski, Flaubert et les autres.

Ah ! ce ne sont pas vos grandes et rares catastrophes, ces inondations qui
emportent vos villages, ces tremblements de terre qui engloutissent vos villes,
qui me touchent : ce qui me mine le cœur, c’est cette force dévorante qui est
cachée dans toute la nature, qui ne produit rien qui ne détruise ce qui
l’environne et ne se détruise soi-même… c’est ainsi que j’erre plein de
tourments. Ciel, terre, forces actives qui m’environnent, je ne vois rien dans
tout cela qu’un monstre toujours dévorant et toujours ruminant.

Goethe - Les Souffrances du jeune Werther.

Mais il y a une profonde morbidité dans ce romantisme, elle-même insupportable. J'aime lire ces témoignages de lucidité ; je ne sais me résoudre à accepter l'amère constat. J'en reviens donc à Ludwig van. Lui qui écrivit : Muss es sein ? Es muss sein ! comme une force poussant à l'action. Une de ses devises : Durch Leiden Freude (la joie à travers la souffrance) qui n'est certes pas un slogan sado-maso, mais le programme de ralliement de tous ceux qui aspirent à autre chose que l'imbécilité heureuse. Nabe : "Tous ceux qui sont dans la vie comme un poisson dans l'eau noient le poisson".

La question est : Beethoven a-t-il réussi ? La Neuvième ? Vraiment ? Rah ! Je ne sais pas. Peut-être. Je doute, et pourtant ma vénération pour Beethoven est sans limite et j'aimerais pouvoir lui accorder cela. Je n'en suis pas certain. Et Nietzsche ? En voilà un autre, icone iconoclaste, dieu athéologue... au même rang que Ludwig van dans mon Panthéon personnel. Lui a réussi. Oui. Il a réussi à plonger ses racines suffisamment profondément et les étaler si loin autour du tronc que l'arbre qu'il est atteint les cimes vertiges. Son écriture est pleine de cette jubilation, de cette santé, lui le grand malade. Il a réussi. Et c'est d'un côté ce qui m'a si lontemps fasciné, et de l'autre laissé perplexe, incapable que j'étais de comprendre.

Nabe et le Jazz m'ont apporté l'éclairage nécessaire. Nabe est de la même trempe : un génie qui détruit tout sur son passage. Tout. Certes pas pour détruire, dans une espèce de nihilisme bien contemporain de la débâcle occidentale. Non, il détruit au nom de quelque chose. Au nom de la vie contre la mort ; au nom de l'Art, contre la culture ; au nom de la Poésie. C'est un mystique, un théologien, un prophète. En revoyant son passage chez Pivot en 1985, j'ai été amusé de voir qu'il épargnait deux catégories : les noirs, les femmes. J'ai toujours pensé ça également. En fait, j'aurais tendance à élargir à toutes les victimes, à tous les perdants. Mais parmi eux : même choix.

Je ne voudrais pas m'égarer, et j'en arrive donc au jazz. Le jazz a réussi quand je doute que Beethoven y soit parvenu. Le jazz est si profond. Je rappelais que Nietzsche disait qu'on écoute avec ses muscles (il disait aussi qu'on pense avec ses pieds, et ces deux idées suffisent à indiquer la portée de son oeuvre) ; pour le jazz, on écoute d'abord avec les tripes. Cette musique ne vient pas de nulle part. Elle est chargée, chargée du poids de l'histoire, chargée de toutes les souffrances d'un peuple, de l'universalité de la souffrance. C'est en vain que l'on voudrait venir à bout de ses racines. La tristesse est à son comble. Mais le jazz a aussi cette légèreté qui vient non pas annuler, non pas contredire, mais dépasser, surmonter sa lourdeur. C'est juché sur une montagne de cadavres qu'Ahmad Jamal donne sa fête. Car il n'y a pas plus festif que le jazz : le finale de Devil's in my den, de Human Nature du grand Miles suffiront à prouver ce que j'avance. Ecoutez ce fantastique morceau de Sidney Bechet, à rendre fou : Blues My Naughty Sweetie Gives To Me. Et dites-moi si ce ne sont pas toutes les larmes du monde qui font la fête ces cinq minutes durant. Existe-t-il un équivalent ? Le jazz - meilleur antidote à la superficialité ambiante. La lueur d'espoir.

mardi 24 mars 2009

Obama ? No, I can NOT

Manifestement, ce que j'ai dit, à la dérobée à chaque fois, sur Obama en étonne plus d'un. Alors je vais essayer de regrouper ce que je pense sur le sujet, afin que ce soit peut-être mieux compris. Je voulais le faire, au moment de son élection. Mais je me suis aperçu que j'avais été doublé par Marc-Edouard Nabe qui y avait consacré son dernier "Tract", intitulé Enfin Nègre ! Or, ce qui est écrit dans ce tract, je le pense aussi, bien que parfois ce soit difficile à admettre. Par exemple, puisque cette remarque m'a été faite, sur Abd al Malik : je l'aime bien, et sa musique avec, et en particulier son exigence littéraire et artistique alors qu'il est plus souvent convenu dans le rap d'afficher des grosses voitures et des filles dessus, dedans, à côté, peu importe ; mais Nabe a malheureusement raison sur son rôle de berger aux ordres d'une méprisable "intégration républicaine" (tu parles). Bref, je crois avoir donné le lien du tract, et ça m'évitait d'en parler.

Finalement, que puis-je reprocher à Obama ? Pas grand chose. Politiquement, ce n'est pas mon trip. Moi je suis anti-capitaliste, alors Obama, Clinton, McCain, Bush... quelle différence ? A la limite, vous pouvez tenter de les ranger en deux catégories, les marchands de sparadrap ® d'un côté et les marchands de mercurochrome ® de l'autre... mais ça fera une belle jambe de bois aux éclopés, de plus en plus nombreux, de ce système. En gros : aucun intérêt. De toute façon, le pouvoir échappe aux politiques, et c'est la raison de cet extrême-centrisme, c'est ce qui rend les gugusses interchangeables. Sarkozy peut bien faire son gouvernement photogénique, il sait très bien que les ministres ne feront rien. Dati n'a pas été choisie pour sa compétence, mais plutôt pour son incompétence, et le fait que... Ceux prétendument de gauche qui rejoignent Sarkozy n'ont rien à trahir. Il n'y a plus d'industrie nationale, alors que voulez-vous que les politiques fassent contre Big Moustache ? Les actionnaires décident et puis c'est tout. Ah, nos amis font le G20, et ils vont s'attaquer aux paradis fiscaux. On va voir ce qu'on va voir. Le premier paradis fiscal est Londres. Faut être sérieux deux minutes. L'eurogroupe est dirigé par le premier ministre luxembourgeois. Ahaha. Bref, économiquement, il n'y a rien à attendre de quelque politique que ce soit. Obama ou un autre, c'est pareil. Mais si vous voulez, ça explique que je n'ai aucune admiration pour Obama, et que je n'attends strictement rien de lui.

Au niveau de la politique extérieure maintenant. Je ne vois aucune inclinaison positive. Le départ d'Irak était déjà prévu et j'attends de voir. L'Afghanistan, allons-y gaiement. S'il venait à laisser l'Iran tranquille, ce serait parce que le zouave Brzezinski veut toujours placer ses pions autour de la Russie et donc qu'il vaut mieux avoir l'Iran comme allié. Donc le Pakistan en ferait les frais. Dans les faits, tout se poursuit tout à fait logiquement. Et c'est normal, c'est la realpolitik. Je ne vois pas pourquoi les USA ne défendraient pas leurs intérêts. Il ne faut pas compter sur moi pour cautionner ça, en revanche. Qu'Obama montre un visage moins agressif que Bush est une chose. Que sa politique soit vraiment différente en est une autre à laquelle je ne crois pas une seconde. Il m'est demandé si je préfère quand même Obama à Bush. C'est le genre de question qui ne se pose pas. Ne serait-ce que pour la prestance intellectuelle, enfin il y a un monde entre les deux. Mais quand bien même Obama serait super gentil et super intelligent et Bush très très méchant et stupide, ce n'est pas là l'essentiel. Nombreux sont ceux qui prétendent par exemple que DSK aurait été très bon président mais que Ségo est une catastrophe. Mais ces deux-là auraient conduit exactement la même politique : leur niveau de culture, leur intelligence supposée n'est pour rien dans l'histoire. Donc, si je résume : je n'ai rien contre Obama spécifiquement, il est comme n'importe quel homme politique (plus brillant que les autres, mais enfin) et n'a aucune chance de répondre à une attente qu'on serait en droit de lui opposer.

Il ne susciterait donc que de l'indifférence chez moi, s'il n'était pas l'objet d'un invraisemblable engouement international. Et là je renvoie plus spécialement à Nabe. C'était une véritable communion générale ici en France parce qu'Obama était élu. Ce n'était certes pas pour son programme économique génial ou pour sa politique extérieure formidable. C'était bel et bien parce qu'on voyait un noir à la Maison Blanche. Le rêve de MLK était réalisé. Et c'était ça, le rêve américain. Et que ce n'était possible qu'aux USA (tu parles... et Morales pour ne prendre qu'un exemple ?). Or, si Obama est "noir", il n'est pas "nègre". Il n'est pas ce qu'on croit voir en lui. Ce n'est pas du tout la réalisation du rêve de MLK, c'est même le contraire. On est content parce qu'un noir est Président. C'est-à-dire qu'on juge le type à sa couleur de peau. C'est du racisme, tout simplement. Et ce racisme est déguisé sous l'antiracisme le plus sincère. C'est par la plus belle admiration de MLK qu'on saute de joie aujourd'hui. Et le fait est qu'il n'a pas mené une campagne de nègre, et pour cause. S'il l'avait fait, jamais il n'aurait été élu.

Il y a aussi que l'Europe voulait voir une Amérique sous un meilleur visage. Bush était vraiment très très méchant. Obama remplit donc la fonction de redorer un blason. Juste par sa couleur de peau. Car dans les faits, rien ne changera. Ce qui aurait donc suscité les hauts cris si Bush l'avait conduit, ça passera comme une lettre à la poste puisque c'est le gentil Obama qui le fera. Autant dire que c'est à mes yeux encore plus inquiétant. Moi, ce n'est pas Bush qui m'écoeurait, mais l'occupation de l'Afghanistan. Sous Obama elle reste la même. Du moins trouvait-on des opposants du temps de Bush. Maintenant, tout va bien, la pacification est certainement en cours. En tout cas, l'opium doit arriver au Kosovo, pas de problème. Bref.

Voilà, je vais en rester là. Je ne sais pas du tout si ce petit billet rend plus claire ma position. Elle résulte du décalage entre mon opposition politique et l'engouement ambiant lequel ne me dit vraiment rien qui vaille.

PS : j'ajoute au sujet de ma phrase jugée provocante dans ma revue du concert d'Ahmad Jamal [D'ailleurs, il n'a pas été invité par Obama, comme aucun des grands jazzmen vivants, lors de l'investiture de ce dernier, ce qui à la fois déshonore Obama et honore Jamal.] Ce n'est pas de la provocation. Je pense vraiment que c'est honteux pour un artiste de célébrer un pouvoir quelqu'il soit, ça c'est mon côté anar, et je suis donc heureux que Jamal n'ait pas eu à se compromettre de la sorte. En revanche, cette absence n'est pas une source d'honneur pour Obama.

dimanche 22 mars 2009

Et c'est ainsi qu'Ahmad Jamal est grand



Le printemps m'apporta un miracle. Les quelques dernières semaines écoulées, je m'immergeais joyeusement dans le jazz, aussitôt converti ; et l'une des figures m'ayant le plus marqué était peut-être celle d'Ahmad Jamal. Ce vendredi 20 mars, je pars donc à la recherche d'informations le concernant lorsque je tombe sur une phrase qui retient mon attention : "Ahmad Jamal en concert". Je n'y crois pas. J'estime la vérification indispensable. Et quelle ne fut pas alors ma stupeur de constater une réponse dans le moteur de recherche du marchand de culture ? Je n'étais pas au bout de mes surprises. Le concert était prévu à Lyon, à l'Auditorium. Diantre ! La lucidité devait me quitter à ce moment-là. Et c'était regrettable, puisqu'il me fallait encore prendre connaissance de la date : "21 mars 2009". De par ma chandelle verte ! Le sang-froid ayant été définitivement perdu, je ne savais plus si la date du jour était le 20, le 21 ou le 22. Nous étions bel et bien le 20 et il ne me restait plus qu'à aller me procurer, fébrilement, ma place (l'une des dernières) pour aller voir le lendemain sur scène l'un des derniers grands jazzmen ! Stupéfiant.


21 mars 2009, 20h30. Les lumières s'éteignent. Les musiciens entrent. James Cammack à la basse, James Johnson à la batterie et Manolo Badrena aux percussions. Et voilà Ahmad Jamal, avec sa démarché hésitante de vieille légende. C'est parti. Il va malheureusement m'être assez difficile de parler des morceaux. Je me contenterai donc de faire part de mes impressions. Il s'agit d'être clair : ces presque deux heures de concert étaient fabuleuses. Le jazz a cette puissance dans ses gènes qui bouleverse, choque même. Nietzsche disait qu'on écoute avec les muscles. Oui. Pour le jazz, on l'écoute avec les muscles lisses, avec les tripes, cette musique prend au ventre et terrasse tout sur son passage en élevant vers d'insensés cimes l'auditeur. Ce sentiment ne se rencontre nulle part ailleurs, je crois. "Sans la musique, la vie serait une erreur" - Nietzsche, toujours.


Le jazz est la Musique. Jamal maintenant. Il est impressionnant - on s'en serait douté. Que fait Ahmad Jamal qui n'en fait pas un humain comme un autre ? Il pointe de l'index, et il le pointe vers ses musiciens. Je sens le doute poindre : vous vous dites qu'il est tout à fait normal de pointer de l'index, surtout en France, surtout pour désigner les bougnoules à expulser du territoire. C'est à la mode. Hélas ! vous n'avez rien compris. Car il ne fait pas de la délation, il organise son concert. Il donne ses ordres. Et on s'exécute. Voilà le moment où il lance un défi à son bassiste, qui prolonge les notes de son piano et se lance dans un solo sous le regard du maître. Interminable. Le maître en arrive à poser les bras sur son piano, puis regarde le batteur comme pour indiquer à un autre élève quelque chose qu'il fallait remarquer dans ce solo. [je pense un peu au sketch de Coluche : "Ah celui-là quand il commence, y en a pour des heures"] Et finalement le maître reprend la parole. Magistral, et pour cause. Ce n'est pas tout. Jamal se démarque du commun des mortels par sa capacité à faire rire. Il joue avec son batteur, s'en amuse comme un gamin de 79 ans, et tape furieusement les notes de son piano dans un grand éclat de rire. Communicatif, le rire. Où l'on vérifie qu'il n'y a nul besoin d'être humoriste pour faire rire. Au contraire, peut-être, de nos jours. Tout le concert fut grandiose. Alternent les percussions furieuses du percusionniste cubain sorte de Papageno psychopathe, les emballements d'ensemble, les notes de Jamal à peine effleurées. Non, il n'enlève pas la poussière de ses touches, il joue la note telle une plume tombant dessus. Une ligne de basse en particulier m'a époustouflé : elle évoquait. Quoi ? C'est bien la question ! Peut-être une armée pléthorique en ordre de marche, mais qui ne ferait pas hurler le métal et cracher le feu, mais sautillerait au contraire dans les herbes et les ruisseaux.


Voilà, j'en arrive à écrire n'importe quoi. La seule raison en est mon incapacité à trouver les mots pour être à la hauteur de ce dont je fus témoin ce soir. J'abandonne. Ahmad Jamal est trop grand. D'ailleurs, il n'a pas été invité par Obama, comme aucun des grands jazzmen vivants, lors de l'investiture de ce dernier, ce qui à la fois déshonore Obama et honore Jamal. Respect.

vendredi 13 mars 2009

Horresco Referens

Tout d'abord, bien le bonjour à ceux qui cherchent le "titre film muet Anton Corbijn" car je vois que vous êtes nombreux à tomber chez moi (pas trop mal ?) au moyen de ces mots clés. Ce film, remarquable par ailleurs, est intitulé Linear et accompagne ... No line on the horizon de U2. Je vous le conseille, le film, pas l'album. Malheureusement, pour le voir, il faut se procurer une box au prix honteux (50 €) ou un digipack au prix plus raisonnable (19 € je crois). Ainsi va la vie et les sacrifices qu'elle demande inévitablement. Le pire n'est pas financier, du reste, mais bel et bien de devoir supporter des titres magnifiques tels Get on your boots ou I'll go crazy if I don't go crazy tonight (oui, oui, c'est bien le titre, heureusement remplacé sur le film par Winter, quoique l'intro de ce dernier titre est une honte invraisemblable). Voilà, vous êtes renseignés. De rien.

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Il y a quelques semaines, je vous avais parlé d'une scission de ce blog d'avec lui-même, pour en donner une branche disons plus clairement littéraire. Je n'ai pas abandonné l'idée. C'est simplement aussi difficile que je l'avais imaginé. J'ai pour le moment écrit 5 textes, et garde une bonne dizaine d'idées en rayon. J'ai l'impression de faire de mon mieux. Mais j'ai aussi le sentiment que c'est... nul. Eh oui. Ceux qui me connaissent un minimum ne seront pas surpris. Je ne dis pas ça pour qu'on me dise le contraire, ou pour me la jouer un peu façon Beigbeder "ouais je casse ce que je fais, c'est déjà génial mais je vaux bien mieux". Je le dis parce que ça l'est, et c'est bien logique pour un premier essai. Bon, le pire, c'est quand je relis du Cavanna. J'ai la terrible impression de faire pareil... en moins bien évidemment. En même temps, je m'y attendais, je l'avais dit : je suis abreuvé de Cavanna, Desproges, Vialatte, etc. et ce sont eux qui me donnent envie d'écrire. Il va me falloir surmonter cette difficulté. Ce n'est pas la seule, c'est du moins la principale. Voilà, certains sont impatients. Mais ce n'est pas encore pour demain. Je peux d'ores et déjà, pour faire mon représentant de commerce (pouah), vous offrir le nom que porteront ces futures chroniques : Horresco Referens. Je pense que je vais vous laisser vous poser des questions quant à ce titre.

mardi 10 mars 2009

Black // Hearted // Love


Voilà. J'étais tout occupé à maudire le rock. Il y avait de quoi, en tout cas à mes yeux. Rien que U2 offrait suffisamment de matière pour des millénaires de moqueries en tous genres. Et pourtant je les aime bien, ces ahuris. Je maudissais le rock, je découvrais le jazz - ce dont je vous reparlerai, tenez-le vous pour dit. Il a pourtant suffit qu'une Péronnelle y aille de sa remarque : "hum on n'aurait pas négligé quelques trucs là?" ; et de son lien pour réveiller (au sens propre tout autant qu'au sens figuré). Pour réveiller quoi ? Pour réveiller. Car PJ Harvey est de retour. Avec John Parish. Pour un nouvel album. A Woman A Man Walked By. Il sort le 30 mars, autant dire demain. En attendant, on peut écouter le premier single, au fabuleux titre Black Hearted Love. Le dernier album avait de quoi laisser pantois - personnellement il m'a beaucoup plu. On revient à du plus sagement pijesque (bel oxymore non ?). La voix est stupéfiante (évidemment, après une cure de Bono, ce n'est pas pareil), les guitares obsédantes, ce titre est vraiment vraiment jubilatoire. Les commentaires ne marquent pourtant que la déception des fans, qui trouvent cela "mou". Plaît-il ? Oui, il me plaît. Il n'y a pas à dire, ça fait du bien.


BLACK

HEARTED

LOVE

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mercredi 4 mars 2009

Willem - Un monde sans Rolex




Publié dans le Charlie Hebdo courant, ce fantastique dessin du fantastique Willem. A quelques pages du fantastique texte du fantastique Cavanna. Mais assez loin d'un édito de Philippe Val assez... bon c'est un peu facile de lui taper dessus, mais enfin je ne comprends pas, vraiment pas. Cavanna et Willem justifient à eux seuls qu'on lise encore Charlie.


Je ne résiste pas et vous livre la conclusion de la chronique de Cavanna : "Je suis heureux que Siné échappe à la condamnation*, je le dis, je serais encore plus heureux si son journal ne cultivait pas la haine personnelle contre Charlie hebdo comme un fonds de commerce." Cavanna est de loin le meilleur de tous et de tous les autres.


* pour ceux qui n'auraient rien suivi : Siné était poursuivi en justice par la LICRA qui s'appuyait sur les témoignages, notamment, de P. Val et de BHL, pour sa chronique sur Jean Sarkozy dans Charlie cet été. Siné a été relaxé et le tribunal s'en est même quasiment pris à ceux qui hurlent au loup antisémite tous les 4 matins. Cavanna en profite pour appeler à la fin de l'autocensure.

mardi 3 mars 2009

La Vague - l'Allemagne et la dictature

Vu Die Welle hier soir. Difficile d'exprimer un avis, même après cette nuit supposée, d'après l'une de ces débiles expressions clé en main (tiens en voilà encore une), porter conseil. En fait, il est clair que je n'ai pas aimé plein de choses. Et tout aussi clair que j'en ai trouvé pas mal d'autres intéressantes. Essayons donc de rassembler tout cela, si possible dans le désordre. Que ceux qui auraient envie de voir ce film aillent surfer ailleurs, mieux vaut revenir après l'avoir vu.
Puisque je parle de désordre, commençons par le tour joué aux anarchistes. Car il y a des anarchistes dans ce film. Oui. Il y a un groupe de gros blaireaux, parfaitement lamentable, dont le plus dur des énergumènes revient manifestement des genoux de sa maman où il a pleuré parce que des méchants très vilains ont recouvert son A ! Il aura une meilleure raison d'y retourner après s'être fait braquer. C'est beau l'anarchie. Et puis il y a notre ami Rainer, sorte de dinosaure bloqué en 74 ou en 79, et qui n'écoute que les Clash et les Ramones. Bref, passons.

Il y a dans ce film des scènes vraiment bizarres : mais où veut-il en venir ?! (interrobang) Juste un exemple. Rah j'ai oublié son prénom. Peu importe. La fille distribue ses tracts anti-Vague au pied des portes des salles de classe, et puis tout d'un coup, ce n'est plus que musique angoissante, regard angoissé, lumière qui s'étend, menace alors qu'on sait très bien qu'aucun monstre ne va lui sauter dessus ni aucun psychopathe l'agresser. Elle l'aurait mérité, c'est une fille, alors on l'espère un peu, mais non. Plus sérieusement, sur l'instant (essayez de monter sur l'instant, vous verrez que ce n'est pas si facile que ça en a l'air, mais j'y arrive enfin), je pensais que c'était humoristique, un peu parodique (mais de quoi?), que sais-je? J'en doute un peu maintenant : peut-être le réalisateur voulait-il par là signifier que la Vague étendait partout sa terrrrrrrrible menace et que bien courageux sont les individus qui résistent ? Je n'ose croire plus longtemps à cette hypothèse.

Dans le négatif : tous les passages 'ados'. Les fêtes, le skate, tout çaaaa. Non. Si j'avais eu le caractère d'Ignatius, je me serais plusieurs fois écrié : "Dois-je en croire mes sens ? Suis-je vraiment le témoin d'une perversion aussi totale ?" Très peu pour moi. En compensation, on a par exemple le prof ringard qui assène un "Alea jacta est" ; il n'en faut pas plus pour me faire rire. Et puis Rainer qui fait gronder les pas de sa communauté d'élèves dont certains commencent à s'impatienter : "Il y a un autre objectif à cet exercice. Lequel ? En-dessous c'est la classe de Wieland".

Il y a ce passage où la Vague déferle sur la ville, ce n'est pas forcément raté, mais ça fait terriblement penser à Stress de Justice et là-dessus Die Welle ne soutient pas la comparaison. La Vague déferle trop tôt cela dit : ils font encore figure de plaisantins et c'est logique dans la progression du film. Mais c'est comme ça, il se trouve que d'autres ahuris font rien que de nous embêter en ayant déjà fait des choses comparables à l'aune desquelles on se retrouve jugé.

Ce que j'ai préféré reste quand Rainer est avec sa classe. On peut trouver les élèves caricaturaux, mais je crois que ce sont les ados qui sont eux-mêmes des caricatures dans la réalité. Et puis la fin du film donne un rôle à ce côté cliché. Oui c'est cliché, mais justement, en partant de la classe la plus banale qui soit, on arrive au drame. Si les conditions de départ avaient été exceptionnelles au contraire, la portée du film s'en trouverait amoindrie.

Alors la méthode Rainer ? Attention, Alain Finkielkraut s'arrache les derniers cheveux qu'il lui reste (il est allé voir Entre les murs) en voyant ces scènes d'apocalypse. Il sera rassuré, peut-être, en voyant le malotru désigné longuement à la vindicte populaire. Là encore, tout ne me parait pas clair dans les intentions de l'auteur. Reprenons. Notre prof anar' veut parler d'autocratie, il prend vite conscience de la naïveté de ses élèves persuadés qu'une dictature ne pourrait pas se reproduire en Allemagne. Il décide donc de mettre en pratique son cours et de faire jouer les éléments qui amènent à la dictature. Rainer devient Herr Wenger, on doit se lever pour parler, puis trouver un nom pour la communauté, un uniforme, un emblème, etc. Mais les élèves s'emballent, et l'affaire lui échappe. Tout le long, sa hiérarchie le soutient, les élèves suivent (à deux exceptions près), ils en parlent chez eux et les parents ne réagissent jamais ; seuls quelques profs sans doute jaloux désapprouvent. Quand il comprend être allé trop loin, il a toujours carte blanche de sa hiérarchie et assène une dernière leçon assez magistrale d'ailleurs prouvant par l'exemple que la barbarie n'est jamais très loin. Si le film s'arrête là, les élèves l'adulent, les collègues mangent leur chapeau, les fleurs fleurissent, les oiseaux chantent, c'est le sauveur de l'humanité. Mais il y a un psychopathe parmi les élèves qui sort son flingue, tire sur un élève, et se règle son compte mais sans jamais dire FULL... METAL... JACKET bon je m'égare. Et donc, logiquement, notre Rainer devient la pire des crapules, son compte est bon. Ce n'est pas pour dédouaner Rainer de sa responsabilité, mais simplement pour souligner que c'est un peu facile pour tous les protagonistes, plus passifs les uns que les autres, de le désigner lui comme responsable. Tous ont eu le choix de quitter le cours, une seule l'a fait et l'autre s'en est sentie exclue (égo blessé). Bref, il ne faudrait pas faire l'impasse sur la psychologie humaine en se contentant de désigner un bouc émissaire. Là-dessus, je ne sais pas trop où se place le réalisateur.

Pour finir, il est quand même assez jubilatoire de retrouver, en pleine séance de manipulation collective, le slogan de notre bienaimé Président : Ensemble, tout devient possible.



mercredi 18 février 2009

U2 - No line on the horizon


L'album sort le 27 mais Universal a visiblement décidé qu'il était grand temps d'abreuver les fans pour faire de la propagande à peu de frais : on peut donc l'écouter tout à fait illégalement depuis cette nuit. Le dernier - How to dismantle an atomic bomb - remontait à 2004. J'avais vécu la sortie avec un grand enthousiasme. De cet album, il me reste One step closer, que tout le monde a du oublier, City of blinding lights, dont on ne compte plus les contempteurs, mais surtout Love and peace or else, titre lourd et à l'ambiance vraiment menaçante. Le reste est quelque peu tombé dans mon oubli. Cinq ans plus tard, qu'allais-je attendre du nouveau U2 ? Rien, ou presque. Je suis passé à autre chose. Je n'écoute pour ainsi dire plus U2, si ce ne sont ce que je considère comme leurs perles : If you wear that velvet dress pour n'en citer qu'une. Et je n'écoute plus de rock. Et ce recul a fixé mon attention sur le côté convenu et commercial de la chose : ce que j'avais accepté sans broncher depuis 2000 me fatiguait désormais, m'exaspérait. Aussi sûr que la SNCF va nous faire préférer le train, j'allais sonner l'hallali de ma fanattitude avec le nouveau single. Là, je me demande si j'ai bien choisi ma comparaison, mais il ne faut plus que 2h19 pour relier Clermont-Ferrand à Lyon, alors je persigne et je siste. Get on your boots est sorti, j'ai détesté, je vous l'ai dit et n'en parlons plus.


Quid de l'album, alors ? Je n'ai pas ressenti d'étincelle, je n'ai reçu aucun pavé dans la figure et ce serait déjà assez dire de ma perplexité - et non pas déception, j'étais déjà trop désenchanté pour cela. On me rétorquera que c'est là un signe de qualité et de prise de risque que l'album ne plaise pas à tout le monde. Je relève le gant, bien que l'argument ne vaille rien du tout (je doute qu'un album de Lorie plaise à tout le monde, et je doute tout autant que ce soit là signe de qualité) parce que je vois ce à quoi ce foutu On fait référence. U2 a su dérouter son monde avec Achtung Baby, perdant certainement au passage un nombre appréciable - je suis méchant avec ces fans de la première heure, qu'ils me pardonnent - de fans. Si je vois bien où est la nouveauté, où est la prise de risque avec Zoo Station, je ne vois rien de comparable avec No Line. Ce qui me gêne n'est pas qu'ils prennent une direction nouvelle, à laquelle je ne m'attendais pas, mais au contraire qu'ils suivent le chemin exact que j'avais prévu. Bien sûr, il y avait eu toutes sortes de gesticulations, de Bono notamment, connu pour raconter tout et n'importe quoi. Cet album allait être orientalisant, on parlait de Tinariwen comme influence, on allait entendre ce qu'on allait entendre : un album révolutionnaire et bien entendu le meilleur du groupe. Avec l'habitude, il est facile de tenir ces discours pour ce qu'ils sont et de ne pas tirer les plans du Taj Mahal sur la Comète mais enfin, j'étais malgré tout curieux, un peu, un petit peu. Et puis il y avait bien une vidéo du Guardian lors des sessions d'enregistrement à Fez au Maroc avec du son que je trouve très réjouissant, orientalisant comme promis. Je trouvais cela prometteur, oui.


Depuis, un hurluberlu a du s'écrier : "Couvrez ce son orientalisant que je ne saurais entendre!", car tout cela a purement et simplement disparu de l'album. Là, il y avait peut-être une piste nouvelle à exploiter pour U2 - certes Jimmy Page l'avait déjà fait, mais... Nous voilà revenus en terrains connus, [je me permets d'ajouter, après une interview du groupe dans Le Monde, la phrase de The Edge qui explique ce drame : "A Fez, nous étions libre de prospecter l'inattendu. Au final, nous n'avons peut-être utilisé que 10 % de ce que nous avons enregistré au Maroc..." Diantre !] avec quelques sonorités nouvelles pour le groupe, une manière de chanter, surtout, souvent surprenante, mais sans le moindre début d'une révolution de quoi que ce soit, si ce n'est des aiguilles de la pendule qui tournent sur elles-mêmes et indiquent que le temps passe, est passé, pour ce groupe. Il y a un point positif, à mes oreilles, c'est la construction des chansons, toujours complexes, évolutives, elles changent souvent de rythme, on sent que ce ne sont pas des petites chansons pop faciles. Je reconnais cela, tout en m'interrogeant sur le feeling, la spontanéité, la fulgurance, je ne sais quoi que le groupe aurait perdu et voulu, à la différence des deux précédents albums, compenser par une écriture plus alambiquée. Je cherche la petite bête et comme disait Bacri dans Un air de famille, à force de chercher, on finit par trouver. Il faudrait que j'arrête de trouver parce que je ne vais plus savoir où passe la frontière entre la critique légitime du fan désenchanté et la mauvaise foi du même fan désenchanté.


J'arrête, donc. Je pose simplement une dernière question, avant de parler rapidement des titres de l'album. Bono parlait d'un concept pour l'album dans le style opposition jour / nuit ; clair / obscur. C'est peut-être parce que je n'ai pas les paroles sous les yeux, mais c'est bien quelque chose qui ne m'a pas paru évident du tout. Peut-être aussi le film d'Anton Corbijn, qui accompagnera l'album pour ceux qui seront disposés à dépenser je ne sais combien, en dévoilera la substance [voilà une idée qu'elle est bonne, en revanche, de faire un film d'un album... à suivre]


Que dire des titres de ce No line on the horizon ? D'abord que FEZ - being born me plaît beaucoup, j'apprécie plus que l'obligation de réserve ne m'y poussait l'ambiance de la première minute et puis c'est l'envolée, pas la transcendance non plus, mais l'envolée. Je dis Oui ! Magnificent est efficace, avec son intro à la Depeche Mode, son solo à la Pink Floyd, et le reste typique du U2 héroïque des années 80, de là à en faire un grand titre, le fossé me parait grand ! Moment of surrender arrive sur mon podium : le chant de Bono est très étonnant au début et donne une atmosphère de déchirement assez forte mais hélas ! gâchée par le refrain. Un point d'interrogation pour Unknown caller, qui me semble assez symptomatique de l'album : un côté décevant, un côté étonnant, un côté irritant, un côté sympathique (si vous attendiez un mot en -ant supplémentaire, vous en serez pour vos frais) : à écouter après plusieurs visions. Ensuite, ça se gâte franchement. Expédions le trio infernal tout de suite, je veux parler des pistes 5, 6 et 7 que je ne supporte pas. Très déçu, surtout, de Stand up comedy, et de son accent "Led Zep" qui ne sert à rien, en tout cas pas à sortir de l'ambiance pop song gentillette : c'est un crime et un blasphème. Que l'on écartèle U2 en place publique, et par des tortues agonisantes par dessus le marché. Il y a bien Breathe mais si la première minute me plaît beaucoup et m'amuse avec ce double côté James Bond et White Stripes, la suite est loin d'être à la hauteur. Et puis deux ballades, que je n'aurais pas l'idée de critiquer, car elles sont jolies, mais pas au niveau de leurs plus belles ballades à mon avis : ce sont White as snow et Cedars of Lebanon. Et puis finissons par le commencement c'est-à-dire le titre éponyme, annoncé comme étant le morceau lourd de l'album, et que je trouve bien léger et donc bien décevant, sans compter un affreux refrain et une démonstration de la part de Bono qu'il sait faire le chien de laquelle on se serait volontiers passé ! Dire que ce seront mes derniers mots, c'est dur !

mardi 17 février 2009

Et c'est ainsi qu'Allah est grand

Je vous reparle d'Alexandre Vialatte, donc... ou plutôt je le laisse parler. Quelques-unes des citations extraites du premier volume des Chroniques de la Montagne qui me plaisent le plus. Je vous fais juges.

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Les lapins s'ébrouent dans le jardin, font mille folies dans la carotte, commettent des crimes dans la luzerne ; et s'ébattent dans le chou quintal avec une naïveté charmante. Ils se jettent dans les jambes du facteur. Jamais ils ne sortent par la porte ! Un jour, ils sauteront d'eux-mêmes dans la casserole ; on s'étonne des progrès de la civilisation. – Chronique n°2

Où allons-nous si Ferdinand Lop se met à offenser la grammaire ! Nous n'y allons plus, nous y sommes. C'est une époque extraordinaire. J'oubliais en effet de dire que l'almanach Vermot nous apprend qu'on a trouvé en Tchécoslovaquie, à Petovice exactement, des mammifères amphibies à trois yeux ! Le progrès fait rage ! – Chronique n°9

Quand on a vu des choses pareilles, on se retire en serrant les jambes, avec de la sueur sur le front – Chronique n°11

L’homme est en exil sur cette terre – Chronique n°23

En un mot, on rêve du gorille, surhomme de l’époque civilisée – Chronique n°41

Le progrès ne recule devant rien – Chronique n°56

Si les Gaulois jetaient eux-mêmes par-dessus bord, cinq siècles avant Jules César, la civilisation gauloise, où allons-nous ? – Chronique n°57

Le progrès ne connaît plus de limites – Chronique n°67

De qui se moque-t-on ? De rien ! De personne ! C’est bien ce qui est grave. C’est le commerce qui tente sa chance – Chronique n°87

L’homme parle depuis si longtemps qu’il éprouve le besoin de se taire – Chronique n°125

Ce n’est pas le « progrès » mais l’harmonie, nous le voyons trop de nos jours, qui fait une civilisation – Chronique n°131

Les végétaux poussent à tort et à travers – Chronique n°139

Si l’âge d’or n’est plus que l’âge de l’or, si l’âge de l’homme n’est plus que l’âge du client, où est le progrès ? – Chronique n°151

Le génie fait rage – Chronique n°173

La civilisation ne peut naître que des amateurs supérieurs – Chronique n°212
[Auschwitz ; le phosphore] Ce qui est à l’opposé de la civilisation. La civilisation consiste à n’assassiner qu’avec choix. – Chronique n°310

La civilisation est couverte de plaies. Qu’on entretient en les grattant : comme l’eczéma – Chronique n°377
Une petite compétence lointaine fait beaucoup plus que tous les « engagements » du monde contre la « gravité du temps où nous vivons » – Chronique n°11

Il est beau de n’être jamais dans le camp du vainqueur – Chronique n°12

Tel est le prestige de la gloire, tel est le succès du scandale : il alimente les conformismes de l’avenir – Chronique n°14

Faites lire ce livre à vos enfants. Ils y trouveront peut-être le goût de choisir, plutôt qu’un métier, une vie – Chronique n°42

Les hommes courent grand risque de n’avoir jamais à choisir qu’entre le libéralisme modéré d’injustice et le despotisme tempéré par l’assassinat – Chronique n°68

Une caricature si féroce qu’elle en est tout près du portrait – Chronique n°76

Les Droits de l’Homme le laissaient patauger dans la vase de la liberté. Les Droits de la Société le mettent sur un sol sec, dans une cellule qui supprime tout problème – Chronique n°91

Il est vraiment de son opinion, il est extrêmement de son avis. Mais il est de son avis avec indifférence. Ce qui étonne, c’est précisément la colossale indifférence avec laquelle il est si extrêmement de son avis – Chronique n°106

Pour la vigne, un système électoral nous oblige à en avoir trop et à payer cher pour n’en savoir que faire. Sinon ce seraient, nous prouve-t-on, des catastrophes, des calamités nationales, que sais-je ? Des députés qu’on ne réélirait pas ! Oui, les choses iraient jusque-là. – Chronique n°117

La notion de désintéressement est à la base de toute culture et de toute civilisation. Nous n’avons besoin que de l’« inutile » – Chronique n°212

J’en arrive à me demander si les journalistes sont sérieux. – Chronique n°229

… pour raconter l’odyssée sociale, politique et intellectuelle d’un couple de cérébraux qui se sentent désignés par la beauté de leurs conceptions philosophiques pour réformer le monde (au prix de l’individu s’il n’entre pas dans le moule préconisé. Les pieds dépassent le lit ? Procuste coupe les pieds). – Chronique n°297
Mais la plus belle de ces neuf choses est la dixième – Chronique n°13

Il n’est pas facile de distinguer. Et quand on y parvient, on se trompe – Chronique n°18

Le paradoxe y coule de source – Chronique n°19

J’apprends enfin par l’édition suédoise de l’organe local des Témoins de Jéhovah qu’il n’y aurait plus au ciel que quatre cent cinquante-quatre places. On ne dit pas si elles sont assises. – Chronique n°29

C’est assez dire qu’il fut pharmacien en banlieue. On ne sait quelle conjonction d’astres explique une chose si surprenante. Après avoir abandonné pour toute sa vie le julep et la boule de gomme, il s’est refait pharmacien ; aux Halles ! Rue Montorgueil ! Nul ne saura jamais pourquoi – Chronique n°33

l’urgence de tous les sujets éternels [Enquête sur la moustache, H. Rey] – Chronique n°35

Mais un geôlier impitoyable me refuse l’entrée de la prison. Je ne sais plus quel crime commettre – Chronique n°37

Mort ? cet homme est mort guéri. […] On ne meurt que tué par son remède et non pas par sa maladie – Chronique n°42

Mais qui dira pourquoi, en face d’une mitrailleuse, on n’a jamais envie de se tuer ? Les mitrailleuses ont je ne sais quoi de bavard qui leur donne raison d’avance. Elles abrègent les monologues d’Hamlet. Elle font trouver mille raisons de vivre. – Chronique n°69

Et l’état civil ne signale la naissance d’aucun poète – Chronique n°88

On ne peut plus être célèbre sans que tout le monde le sache – Chronique n°94

Les morts eux-mêmes ont déserté leurs tombes – à l’exception de cent quarante-deux, on ne sait pourquoi – Chronique n°113

« Il vient de m’arriver une histoire vraie »… Ce qui est doublement prodigieux : car, premièrement, il [Michel Chrestien] ne lui arrive jamais que des histoires fausses et, deuxièmement, il ne peut arriver que des histoires vraies – Chronique n°126

Bonne nouvelle : le cerveau électronique, endoctriné par des chimistes, a rédigé à l’usage des pharmaciens un catalogue de tous les mots qui pouvaient être fabriqués pour désigner de nouveaux médicaments : abechamycine, starvcid, platuphyl, etc. etc. Il ne reste plus qu’à lancer dans le public les maladies que guériraient ces remèdes nouveaux – Chronique n°160

Je découvre en effet, dans les journaux récents, que la Chambre, ne pouvant voter parce que les députés étaient trop peu nombreux, vota quand même parce qu’ils étaient si peu qu’ils n’étaient pas assez pour prouver par un vote qu’ils étaient trop peu pour voter ! – Chronique n°163

L’inutile est indispensable – Chronique n°182

Quand un homme a mis dans sa vie l’idée fixe qu’il ne vivra que dans l’ombre d’un laurier-rose, le désert lui-même est obligé de s’incliner. Telle est la force de l’absurde – Chronique n°203

Il n’est donné qu’à l’être humain de pouvoir ainsi surpasser l’homme – Chronique n°236

L’homme est le grand-père de tous les animaux. Tel est le dernier état de la science. Il est en marche vers l’amibe, au-delà de laquelle il n’y a rien – Chronique n°281

On fait des horloges plus justes que le temps. Le bon Dieu va nous demander l’heure ; le Soleil est affreusement vexé ; s’il est bien sage on lui offrira une montre le jour de sa première communion – Chronique n°306

L’inutile est indispensable. […] et l’incroyable est le pain quotidien – Chronique n°398

L’homme est un marin écœuré qui veut entrer dans la marine – Chronique n°415

Rien ne sert la vie si bien que l’absurde – Chronique n°457
Car nous vivons dans l’eau qu’ils [les cubistes] nous ont fait couler – Chronique n°16

L’ambition de l’homme du XXe siècle est de se digérer l’estomac – Chronique n°25

[Cousteau] Ce n’est plus un homme, c’est un homard – Chronique n°49

Rien [définition du guépard] ne saurait mieux prouver à l’homme que ce monde n’est qu’un accident parmi des millions de mondes possibles – Chronique n°53

Notre époque est friande de chiffres. [ironique] A juste titre. – Chronique n°58

On ne saurait se passer d’idéal. L’homme sent en lui je ne sais quoi de vaste et de pur le porter aux nobles ambitions. Il faut des phares à la nuit d’une époque où vacille la nef de l’esprit. C’est ainsi que toute une presse, tentée par le sublime, rêve de photographier le pape en caleçon de bain – Chronique n°64

De qui se moque-t-on ? On ne se moque pas. Nous sommes au siècle des experts. […] Rien ne les arrête – Chronique n°80

Le pays qui a produit Tolstoï est devenu fier de fabriquer des montres – Chroniques n°87

A croire que l’homme du XXe siècle est né de l’orgue de Barbarie – Chronique n°104

Nous sommes devenus bons à absorber tout ce que le commerce invente. Il nous vend le bruit des ruisseaux. C’est une fable de La Fontaine ! Une moitié du monde prend l’homme pour une machine à produire, l’autre moitié pour une machine à consommer. Et si l’homme était autre chose ? – Chronique n°135

On n’a pas le temps. C’est un signe de l’époque. Nous sommes au siècle de la vitesse, et la vitesse a fait perdre le temps – Chronique n°139

En leur donnant à tous le bachot, la question n’est résolue. On ne va pas assez loin. On devrait réserver le diplôme à ceux qui ne peuvent pas l’obtenir. Car autrement, les mêmes ont tout, science et diplôme, les autres rien. Où est la justice ? – Chronique n°207

Car la célébrité doit précéder l’exploit, et surtout la vente du produit. – Chronique n°256

Car nous vivons à une époque où un hareng qui cueille des cerises n’attire plus l’attention de personne. C’est à vous dégoûter de marcher sur les oreilles – Chronique n°271

Les guerres ont commencé le travail, la civilisation électroménagère l’a porté au point d’achèvement. – Chronique n°373

Jamais Archimède n’eût songé à inventer son fameux principe en prenant un bain taylorisé – Chronique n°420

Que conclure de ces opinions ? Qu’il existe deux sortes d’ouvrages : ceux qui sont édités bien qu’ils manquent de talent et ceux qui le sont parce qu’ils en manquent. Ce qui laisse au lecteur le plaisir de choisir. – Chronique n°446

C’est toujours du sommet de la côte qu’on aperçoit ce qu’aurait pu être le chemin. Le meilleur maître, disait Goethe, dans sa Province pédagogique, n’est pas trop bon pour enseigner les éléments ; il n’est que lui qui les comprenne – Chronique n°2

Ce qu’on n’ose pas dire est toujours véritable – Chronique n°23

Les chinoiseries varient avec les peuples – Chronique n°37

On reconnaît la maxime excellente à ce qu’on a d’abord envie de la contredire – Chronique n°39

Qui d’entre nous n’ait vocation d’un autre monde ? Le bonheur, comme disait Dante, se trouve toujours sur l’autre rive – Chronique n°44 Voilà pourquoi tant de gens savent si bien nager – Chronique n°48

L’homme pense avec ses pieds, la femme pense avec sa tête – Chronique n°78

Nous sommes faits par notre jeunesse, l’adulte est le fils de l’enfant – Chronique n°83

Résumons-nous : l’événement fait le journaliste ; le romancier fait l’événement – Chronique n°113

Car l’homme ne cesse d’étonne l’homme. Quant à la femme, elle le stupéfie – Chronique n°119

La morale de cette histoire, c’est que plus l’échelle est longue, mieux on se casse la figure. « Plus le singe monte haut, dit un proverbe hindou, et plus il montre son derrière. » Le derrière du singe est un affreux spectacle – Chronique n°205

Les grandes pensées ne peuvent naître que de vastes curiosités ! – Chronique n°212

On croit que l’intérêt mène les hommes. Ce n’est pas vrai : ce sont les passions ; et la passion, c’est le rêve. Et le rêve c’est le perdu. Le temps perdu mène le monde – Chronique n°232

Le désordre de l’homme est un hasard de l’ordre, tandis que l’ordre, dans la nature, est au contraire un hasard du désordre – Chronique n°272

L’homme n’a pas à s’occuper de l’endroit où veut aller le fleuve, mais de l’endroit où doit aller l’homme [sur le sens de l’Histoire] – Chronique n°274

Les grands plaisirs ne se partagent pas. Les véritables châtiments sont invisibles – Chronique n°321
Sur le milieu de la journée, Ivan, occupation éminemment chrétienne, rendait visite aux prisonniers ; malheureusement, ça consistait à féliciter le serrurier et prêter la main au bourreau. C’était le tour du propriétaire. Il en revenait tout rajeuni. On faisait alors venir les femmes. Là, ça dépasse la description. Elles en mouraient de peur ou de honte, et quittaient ces réjouissances avec douze flèches dans le derrière : car il est bon de s’entretenir au tir à l’arc. – Chronique n°124

Mais le plus beau texte du mois […était] une simple circulaire (on peut être grand sans être long) : elle chargeait l’administration de demander aux délégués pour le scrutin sénatorial de faire connaître leur opinion ou leur parti avant le vote. Ne faut-il pas sauver la République ? – Chronique n°127

Un Anglais a juré qu’il mangerait son chapeau – Chronique n°175

Il connaîtrait enfin sans larme ce qu’il faut savoir de ces auteurs fameux devant lesquels l’enfance recule comme devant l’huile de foie de morue, mais dont la gloire croît de siècle en siècle à mesure que s’écoulent plus de générations qui ont toujours refusé de les lire. – Chronique n°232

Le corps de l’homme a un verso. La bienséance consiste à n’en rien croire. C’est en effet une chose si indécente qu’on ne l’a jamais dite aux Anglais – Chronique n°263

L’homme de Cami avait encore un nom. Il s’appelait M. Rikiki. L’homme de Chaval est anonyme. C’est ce qui nous reste. – Chronique n°373

Il a fallu que je cherche dans le Larousse, et j’ai vu : « hésichiaste »… l’omphalopsyque est tout bonnement un hésichiaste. Alors pourquoi ne pas le dire tout de suite ? – Chronique n°378

Victor Hugo, qui était poète, comme son nom l’indique à merveille, n’a jamais parlé de l’okapi. – Chronique n°421